(…) il regarda autour de lui, et il vit le pilote de son navire, debout à la barre, l’oeil tantôt sur les voiles pleines, et tantôt sur l’horizon.
Et il dit : patient, combien patient est le capitaine de mon bateau.
Le vent souffle et les voiles s’agitent. Le gouvernail lui-même réclame sa direction. Mais, paisible, mon capitaine me laisse à mon silence. Et mes marins, ceux qui avaient écouté le choeur de la grandiose mer m’avaient écouté patiemment eux aussi. Ils ne vont plus attendre longtemps maintenant. Je suis prêt.
Le ruisseau a atteint la mer (…) Adieu à vous (…) Ce jour est fini. Il se referme sur nous comme le nénuphar sur son propre lendemain. Ce qui nous a été donné, nous le garderons, et si cela ne suffit pas, alors nous devrons revenir ensemble et, ensemble, tendre nos mains vers le donateur.
N’oubliez pas que je reviendrai à vous. Un court instant, et de mes voeux, j’appellerai poussière et écume à former un autre corps. Un court instant, un moment de repos sur le vent et une autre femme me donnera naissance.
Adieu à vous et à la jeunesse que j’ai passée avec vous. C’est hier seulement que nous nous sommes rencontrés dans un rêve. Vous avez chanté pour moi dans ma solitude et moi, de vos désirs, j’ai construit une tour dans le ciel. Mais maintenant notre sommeil s’est enfui et notre rêve est fini et ce n’est plus l’aube. Midi est là, sur nous, le plein jour survenu dans notre demi-sommeil, et nous devons nous séparer. Si au crépuscule de la mémoire nous devions nous rencontrer encore une fois nous parlerons à nouveau ensemble et vous me chanterez un chant plus profond. Et si nos mains devaient se rencontrer dans un autre rêve, nous construirons une autre tour dans le ciel.
Ayant dit, il fit signe aux marins et aussitôt ils levèrent l’ancre et larguèrent les amarres et ils s’en allèrent vers l’est.(…)
« Le prophète » de Khalil GIBRAN. Extrait.
Chapitre « Les adieux ».
@N@
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Merci.